Faut-il porter une robe pour danser le tango ?
- isaurecat
- il y a 5 jours
- 6 min de lecture

Non.

On pourrait en rester là, pourtant la question n'a rien d'anecdotique : elle parle des clichés liés au tango, d'une certaine vision de la féminité, d'une tradition de "s'habiller" pour aller au bal. Évidemment, on PEUT mettre des robes pour danser le tango. C'est même très fréquent - quand on est une femme, s'entend. Surtout lors des démonstrations.
Il y a une certaine mode du tango, parallèle mais pas imperméable à la mode en général - je ne surprendrai personne en annonçant qu'il y a en réalité deux modes très genrées - qu'il est intéressant d'explorer.
Évolution récente de la mode féminine dans les bals de tango argentin
Quand on ne connaît pas, on imagine que le tango se danse avec de grandes robes à froufrous. Ça vient probablement de l'imaginaire visuel du tango de salon (Voir l'article sur les différents styles de tango). Et au tango qui capte le plus l'attention : celui qui se danse sur la scène. Mais au bal comme sur scène, les styles ont beaucoup évolué

Il y a donc des modes, selon les époques. Sans remonter aux années 90 - ou aux années 50 - dans les années 2000, les danseuses portaient des pantalons amples resserrés à la cheville, ou des jupes évasées plutôt légères et courtes, assez taille basse.

Ensuite il y a eu une obsession pour la dentelle, dans toutes les milongas les femmes portaient des dos nus en dentelle et des jupes aux ceintures de dentelles, avec des tissus très fluides et plus courtes devant.
Puis les jupes sont devenues étroites : c'est la mode de la jupe crayon, plus stricte, fendue derrière ou non, souvent imprimée.

On a continué à voir des dos nus de formes variées : c'est cohérent avec la mode en général, mais aussi avec le tango de bal, où on nous voit danser surtout de dos.

En ce moment, la mode s'est beaucoup rallongée (influence du tango escenario, où de longues robes dramatiques sont revenues plus vite ?) On voit des jupes longueur cheville, coupées parfois en tulipe et un peu plus longues derrière (qui font penser aux robes du soir des années 30). Ou des jupes droites longues taille haute fendues derrière portées avec un simple crop top.

Et aussi beaucoup de jupes portefeuille très amples et soyeuses, parfois colorées ou imprimées de fleurs exotiques, qui glissent sur les jambes des danseuses.
Parfois, dans un esprit plus dark, ou plus "dame", on privilégie les robes noires à manches longues (parfois même des manches bouffantes) et même des collants noirs pour un effet encore plus strict.
Bon et les paillettes au tango, ça c'est de toutes les époques ; mais partout en ce moment ça brille de mille feux. Voyez vous-même :




En parallèle, ces dernières années, beaucoup de danseuses au bal ou en cours se sont mises à danser en pantalon : des pantalons de tailleur très taille haute, qui tombent bien droit et mettent en valeur la ligne des jambes.
Exemple en vidéo :
D'ailleurs la question de la robe renvoit à la question des talons : faut-il porter des talons pour danser le tango ? Beaucoup de femmes portent des pantalons avec leurs talons, mais à l'inverse on voit de plus en plus la mode des bottines se généraliser et s'associer facilement aux jupes et robes des danseuses. Je crois que l’œil s'habitue à regarder des styles différents et c'est tant mieux.
Mode masculine du tango
Côté mode, les hommes ne sont pas en reste : dans les années 2000 ils dansaient en baggy et pantalons et vestes extra larges, puis le modèle du pantalon à pinces classique assez large s'est longuement imposé (qui dissimule les genoux pliés et les placements de pieds approximatifs), et des chemises près du corps avec toutes sortes d'imprimés.
Pendant un temps, la mode chaussures blanches-ceinture blanche a fait fureur. Puis elle a fait rire. Maintenant on voit plus souvent des costumes ajustés et des pantalons droits, voire des pantalons slims. La veste est encore très présente - des vestes noires, blanches, colorées, parfois brillantes parfois en velours. Le combo pantalon de costume - chemise moulante est encore d'actualité. Mais on trouve aussi des tenues tout à fait lambdas en milonga : beaucoup dansent avec leurs jean et t-shirt préférés.
Et les couples queers ou de même genre ?
Il n'y a pas de règle. Chacun·e fait son choix : classique ou original, similaire ou différent. On peut guider en talons, on voit des femmes en costumes, des hommes avec des costumes classiques ou de véritables costumes de scène, robe ou cape. Quelques images :





D'ailleurs, relativisons toutes ces constatations :
Si dans les milongas un peu huppées, rares ou dans les événements spéciaux et les festivals, les gens prennent soin de s'habiller, à Paris, dans les milongas régulières, on voit aussi énormément de gens qui viennent à la milonga habillés tout à fait normalement : un jean, un t-shirt ou une chemise de tous les jours, et on change juste ses chaussures. Ou des personnes au style très cool peuvent en côtoyer d'autres très habillées. Je trouve que c'est un des plaisirs de la milonga. Et la preuve qu'il y règne une certaine liberté.
S'habiller pour danser le tango : la sensation et l'image
Pourquoi ce panorama de la mode récente ? Il me paraît intéressant parce que pour des danseur·euses, les vêtements ne sont pas juste une décoration, ils ont un impact sur ce qu'on voit de la danse d'une part, et ce qu'on ressent quand on danse d'autre part.
Sur scène
L'esthétique, pour les danseurs en représentation, c'est tout un monde, à la fois de tradition ou non, de mode, de contrainte ou de liberté de mouvement : on choisit ce qui nous met en valeur, ou bien ce qui renvoit un style, un imaginaire donnés.
Est-ce qu'on veut paraître traditionnel ou bousculer les codes ? Montrer sa personnalité ou reprendre des clichés ? Faire preuve de bon goût ou tout miser sur le sexy ? Quel aspect de la danse on veut montrer en priorité ?
On n'a pas la même ligne de jambe avec une jupe fendue ou avec un pantalon. Les tissus serrés, les imprimés, accentuent l'élasticité du mouvement et l'épaisseur des gestes. Un abrazo paraîtra plus enveloppant si le buste est visible dans une chemise moulante. Une veste ouverte ou un pantalon à pinces dissimulent partiellement les mouvements du danseur, mais peuvent donner une impression de solidité, d'ancrage.
À la milonga
Pour les danseur·euses de bal, l'esthétique a surtout un but social : quelle image on renvoit de soi, comment on veut être perçu·e, et par qui on voudrait être choisi·e. Évidemment, il faut se sentir bien dans son style pour aller danser : si je me sens cool, si je veux être chic, sexy, discrète.... je vais choisir les habits qui correspondent.
Mais surtout, on privilégie les vêtements dans lesquels on se sent bien bouger. Et ça peut évoluer avec le temps - ou d'un jour à l'autre. Parfois on préfère ressentir un mouvement contraint, limité, d'autres soirs on préfère l'amplitude et la souplesse.
On ne bouge pas de la même façon si on voit nos jambes ou non, si la coupe est ample ou ajustée, si le tissu est léger ou lourd : la soie donne une impression de légèreté, des tissus lourds ancrent davantage. C'est très différent de danser avec une jupe ou un jean serrés ou une jupe ample. Le fait que les femmes dansent souvent en robe leur donne une conscience très vive de l'élégance - ou non - de leurs jambes et leurs pieds, ce qui change le focus de sa propre danse. On mettra sûrement davantage l'accent sur la liberté de mouvement si on est dans des vêtements cools, ou plutôt sur l'élégance si on s'est fait chic.
Et finalement - tant qu'on a le choix - c'est parfois agréable de jouer avec les clichés et de s'autoriser des costumes qu'on n'oserait pas ailleurs. N'est-ce pas ?
Et vous, comment vous habillez-vous pour aller à la milonga ?
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